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Infirmiers et aides-soignants : après l’action et la colère, le deuil et les propositions

29/04

Depuis le début de cette pandémie, notre association s’est très peu positionnée publiquement sur certains débats politiques ou émotionnels relatifs à la gestion de crise. Comme la plupart de nos membres soignants sur le terrain, nous avons plongé dans l’action et avons privilégié l’efficacité. Nous avons réorganisé nos services et assuré la protection de notre personnel, donné des conseils et informations aux membres sur comment se préparer à l’arrivée de la première vague épidémique, relayé les informations officielles et scientifiques sur nos médias sociaux et par email, fait le relais des demandes de volontaires pour aider les secteurs en sous-effectifs, répondu à vos nombreuses questions…
Puis, petit à petit, est arrivée la colère. La colère d’apprendre que le pays n’avait plus les stocks stratégiques promis depuis la crise H1N1 de 2008 ; la colère d’apprendre que la première commande de matériel de protection du fédéral n’était qu’une arnaque qui aurait des répercussions sur tous mais dont les premières victimes seraient surtout le personnel soignant travaillant dans les organismes sous tutelle régionale (MRS, handicap, première ligne, santé mentale et assuétudes, sans-abris…) ; la colère de lire des recommandations d’usage du masque FFP2 différentes de ce que nous apprenons tous à l’école et qui est recommandé par l’ECDC (au lieu de dire clairement et honnêtement que la recommandation était adaptée à cette pénurie) ; la colère d’apprendre que les groupes d’avis fédéraux n’ont pas considéré tout de suite les infirmiers à domicile comme prioritaires ; la colère de découvrir que, malgré toute l’aide de l’état belge au secteur pharmaceutique ces dernières années, celui-ci ne produit pas un certain nombre de produits essentiels à notre population…

Cette colère est arrivée à son apogée lorsque, le même jour, nous avons appris le décès de deux de nos collègues probablement contaminées sur leur lieu de travail : l’une aide-soignante et l’autre infirmière, toutes deux travaillant en MRS. Nous le redoutions, et nous n’avons pas été surpris que nos premières victimes soignantes appartiennent à ce secteur-là. Outre le retard dans l’équipement en matériel, cela fait des années que nous plaidons pour une revalorisation des normes, en nombre et en qualification des praticiens de l’art infirmier, auprès des personnes âgées. Entre 2010 et 2014, nous avions plaidé pour un renforcement du nombre d’infirmiers et d’aides-soignants (remplacé alors en partie par d’autres types de qualifications) et une meilleure rémunération de ceux qui se spécialisent en gériatrie pour y travailler – sur ce dernier point uniquement nous avions été entendus. Dès 2014 la Ministre fédérale a annoncé vouloir mettre fin à la spécialisation infirmière en gériatrie et a suggéré la suppression des primes liées à cette spécialisation notamment par la mise en œuvre de l’IFIC, alors qu’entretemps ce secteur était passé sous tutelle régionale. Il en résulte qu’à l’entrée en épidémie ce secteur est caractérisé (même si des exceptions existent) par un sous-effectif en personnel soignant et que le personnel présent n’a pas les moyens suffisants pour absorber et gérer une crise de cette ampleur. Personne n’y était préparé, mis à part peut-être les hôpitaux grâce aux plans PUH, mais ce secteur aurait pu être mieux préparé et soutenu, limitant les dégâts, surtout en termes de transmission des infections.

Nous avons donc dû faire notre deuil. Celui de nos collègues, mais également celui de dirigeants d’un pays considérant les infirmiers pour ce qu’ils sont : une profession qui porte en grande partie le système de santé face à la crise… une profession qui constitue, comme le rappelait l’OMS le 08 avril dernier, la colonne vertébrale de tous les systèmes de santé.

Mais nous ne voulons pas en rester là, car nous osons espérer que, parmi les dirigeants de ce pays, certains souhaitent peut-être rattraper ces erreurs et considérer l’importance et la force de proposition de notre profession. Lors de l’enquête Sciensano sur la santé des Belges durant cette crise, la population a affirmé avoir confiance à plus de 90% envers les infirmiers. Les élus devraient faire de même et considérer la voix des infirmiers !

Nous demandons donc dès ce jour que les demandes suivantes soient enfin entendues et concrétisées en actions :

  • Des infirmiers à domicile se proposent pour renforcer leurs collègues en MRS : l’INAMI (les mutuelles) refusent que ceci soit possible … Nous demandons que, durant la période COVID, la solidarité entre les infirmiers de tous les secteurs soit rendue possible sans perte de revenus.
  • Les infirmiers à domicile qui soignent des patients suspects, tout comme ceux des MRS, doivent recevoir des masques FFP2. Ces stocks de masques doivent être répartis équitablement entre tous les professionnels du soin qui ont des contacts physiques avec les patients et pas seulement en fonction du secteur où ils travaillent.
  • Des infirmiers hospitaliers, mais pas uniquement, se rendent tellement disponibles que leur compteur d’heures supplémentaires explose et qu’aucune récupération ne sera possible dans un délai raisonnable : nous demandons que ceux qui le souhaitent, tous secteurs confondus, puisse être payés de ces heures supplémentaires au lieu de les récupérer (donc que chaque agent puisse au choix récupérer ou voir ses heures supplémentaires payées).
  • En signe de reconnaissance de l’État, nous demandons une publication transparente et régulière du nombre d’infirmiers et d’aides-soignants infectés et victimes du COVID. Le COVID doit être reconnu comme une maladie professionnelle de manière automatique, sans devoir apporter d’autre preuve qu’une déclaration de l’employeur comme ayant travaillé comme soignant durant l’épidémie. Cette reconnaissance doit être accordée dans tous les secteurs. Il faudrait par ailleurs qu’un plan d’accompagnement psychologique (totalement remboursé !) soit proposé à tous les soignants de première ligne qui le souhaiteraient, pendant et après la crise.
  • Les infirmiers ne sont représentés dans aucun groupe de réflexion ou de travail relatif à cette crise ou à la sortie de crise… les fédérations d’hôpitaux et de MRS sont concertés, les médecins spécialistes et généralistes, parfois les syndicats des travailleurs du secteur de la santé… mais jamais la « colonne vertébrale de ce système de santé » n’est impliquée ! C’est un non-sens, alors que plus de 50% des professionnels qui doivent appliquer les mesures prises par ces instances sont des infirmiers ! Nous exigeons d’être interrogés. L’UGIB peut être un interlocuteur représentant la profession dans son ensemble.
  • Il faut commencer à élaborer un nouveau plan national d’attractivité et de rétention infirmier, avec des volets à décliner dans chaque région, afin que, dès la sortie de crise, 
    1. le nombre d’infirmiers et d’aides-soignants par patient soit augmenté dans tous les secteurs de soins, 
    2. qu’un système de valorisation de la carrière clinique reposant à la fois sur l’expérience et sur les diplômes complémentaires (donc pas le système IFIC actuel) soit remis en place, et
    3. que soit créée une nomenclature infirmière à domicile pour la surveillance et l’évaluation de l’état de santé du patient, pour le dépistage de maladie infectieuse, et pour l’éducation du patient et de son entourage aux mesures de prévention des infections.
    4. Il est également impératif d’avoir un relevé plus précis et plus rapidement mis à jour des activités professionnelles de chaque infirmier.
  • Cette crise a révélé l’incapacité de notre pays à faire face sans stress excessif à une crise sanitaire… Nous demandons qu’un plan pandémie, comme celui de 2008, soit réécrit, avec l’aide des infirmiers, et qu’aucun ministre de la santé, même pour des raisons d’économie, ne puisse y déroger à l’avenir. Ce plan identifiera notamment le matériel de protection et de soins et une quinzaine de médicaments essentiels à la survie de la population qui seront dorénavant à nouveau produits à l’aide de matières premières belges et au niveau national pour pallier toute crise future. 


Le Conseil d’Admininstration de l’acn